Envoûtante, enivrante, imprévisible Carretera Austral

Envoûtante, enivrante, imprévisible Carretera Austral

Bonjour à tous,

Cet article de début d’année 2016 revêt une note un peu particulière. Tout d’abord c’est l’occasion pour nous de vous souhaiter nos meilleurs vœux, que cette année soit riche de belles aventures, qu’elle vous apporte beaucoup de joie et vous comble de bonheurs partagés.

L’année 2015 aura été pour nous une merveilleuse année, placée sous le signe de la liberté, de la découverte, de la solidarité et de l’amour aussi. Elle se termine tristement par la perte d’un être cher qui nous rappelle encore à quel point la vie est fragile et qu’il faut savoir profiter de chaque instant. Cette épreuve nous ramène aussi à la tristesse d’être si loin de nos familles et de ne pouvoir être présents physiquement pour les soutenir…

« A toi mon cousin, à qui j’aurais voulu raconter ce voyage de vive voix. Tu es parti trop tôt sans que je puisse une dernière fois te serrer dans mes bras… »

Julia

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Dans le précédent article, vous avez eu droit à l’envers du décor grâce à l’œil acerbe et critique du duo de choc qui nous a rendu visite. Pour notre part, nous avons bien ri de nous voir dans ce miroir grossissant et révélateur de notre vie quotidienne dans laquelle nous nous complaisons allègrement depuis plus d’un an maintenant.

Mais nous avons surtout bien ri tout court, et bien mangé et bien bu lors de ces 15 jours de partage et de pédalage sur la mythique, oui ! oui ! mythique Carretera Austral. Merci 1000 fois Maïou et Lulu d’être venues nous aider à pousser nos biclous.

En exclu, voici la photo collector !

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Maïou et Lulu dans le plus pur style cyclotouriste !

Mais le départ de Maïwenn et Lucile a sonné le glas pour nous de la période des visites – à moins que l’un d’entre vous ait prévu de nous faire une belle surprise ?! – et nous revoilà en piste pour quatre mois d’aventures diverses et variées direction le bout du monde puis la remontée vers la capitale du tango.

La Carretera Austral, cette route mythique…

A. Pinochet, tristement célèbre dictateur du Chili post-Allende, dans les années 70-80, aura au moins eu la bonne idée d’entreprendre des travaux de voirie d’envergure pour permettre à l’ensemble des petits villages de la Patagonie chilienne d’être reliés au « continent », en prolongeant la Ruta 7 (Santiago > Puerto Montt) jusqu’à Villa O’Higgins. Le dernier tronçon le plus austral réalisé date de 2004 à peine, achevant ainsi un chantier primaire de plus de 1200 km.

Aujourd’hui, l’âme de la Carretera Austral, celle du pionnier, de l’aventurier, du voyageur, et telle que les cyclo-voyageurs l’apprécient et l’ont convertie en une des routes cyclables les plus connues du monde est peut-être en train de s’évaporer dans les volutes d’enrobé qui recouvre peu à peu, kilomètre par kilomètre, mois après mois, l’ensemble de cette piste étroite, sinueuse, poussiéreuse, émaillée de fjords et de lacs glaciaires.

En effet, le projet initial est actuellement en train de se convertir en un chantier bêta dont les finalités ne sont pas que touristiques. Le tourisme constitue une manne économique conséquente pour les petits villages de la Carretera et le devenir de la Patagonie chilienne est bien sûr touristique, mais cela reste très saisonnier car les hivers sont très rudes et la vie semble s’arrêter dès le mois de mars passé jusqu’à novembre. Néanmoins, l’asphaltage de la route constitue aux yeux de quelques observateurs avertis et engagés une menace latente et patente : l’implantation de multinationales minières pour l’exploitation de minerais dont regorgeraient les montagnes encore sauvages de la Patagonie et dont l’alimentation en électricité pourrait provenir des immenses barrages en projet sur les plus grands et plus beaux cours d’eau. Heureusement, aujourd’hui un grand mouvement national milite contre la création de ces barrages qui entraînerait la modification de milieux naturels très fragiles et d’une qualité d’eau absolument incroyable : Patagonia Sin Represas !

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Mais revenons donc un peu à nos moutons patagons, qui d’ailleurs sont fort bons al palo ou al horno .

La Carretera Austral dans sa partie Nord, entre Puerto Montt et Coyhaique, longue de quelque 650km est l’une des plus avancées dans ce chantier de goudronnage avec des zones en très gros travaux, et finalement très peu de sections à l’état originel. Il n’en reste pas moins que, dans les jours de beau temps que nous avons eus, accompagnés de « la reine de la gamelle » Maïou et « Ponch’ica » Lulu, nous avons adoré divaguer entre mer et montagne, ici le long de la côte avec ses bateaux traditionnels de pêcheurs bien colorés, sa faune – pélicans, mouettes, otaries, dauphins ou toninas–, puis à même les fjords à naviguer pour accéder à la route qui poursuit son cheminement plus au Sud, là au milieu des volcans et des sommets enneigés, entre glaciers suspendus, cascades tonitruantes déversant ses eaux cristallines et forêts inexplorées ou au contraire entièrement incendiées par les pionniers ou les éruptions volcaniques…

Alors oui, ces quinze jours à 4, et parfois à 8 avec la famille Garioud, n’ont pas toujours été une promenade de santé du fait d’une météo pas forcément des plus clémentes, mais nous avons rechargé les batteries en compagnie de nos proches, avons dévoré plus de chocolat en 10 jours qu’en 10 mois de voyage et avons partagé un petit bout de notre voyage avec grand bonheur ! Maintenant place aux adieux, un peu de tristesse dans les rues de Coyhaique, capitale de la Patagonie chilienne, mais nous nous retrouverons bientôt… Allez, on ne se laisse pas abattre, on file à la pizzeria du coin, on s’enquille une pizza, une petite cerveza artesanal locale et on reprend la route pour la deuxième partie de la Carretera Austral.

De Coyhaique à Villa O’Higgins, la Carretera 1.0 !

Aux abords de Coyhaique, les paysages changent radicalement de ceux que nous avons pu traverser jusqu’à présent. Collines et prairies se succèdent et ce n’est qu’au loin qu’à nouveau la route s’élève pour passer entre les montagnes. Encore une petite centaine de kilomètres sont asphaltés au Sud de Coyhaique, menant à Villa Cerro Castillo où reprennent subitement les travaux de grande ampleur. Quelque 30 kilomètres plus loin, nous retrouvons enfin la Carretera originelle et son fameux ripio qui ne nous lâchera plus jusqu’au bout du bout ! Sur cette route en cul-de-sac, le trafic est moins dense, ce qui n’en rend que plus agréable le cheminement au gré des vallées. A nouveau les cours d’eau se parent de leur plus beau dégradé de bleus et de vert et les berges deviennent un paradis pour bivouaquer, ici le long du Rio Ibañez, là les pieds dans le Rio Baker. En approchant de Cochrane, on croirait même revoir la Sorgue, mais avec les truites en plus ! Avis aux amateurs, ici c’est un coup de lancé, une truite de sortie !

Et quand tous ces cours d’eau s’unissent, c’est pour donner naissance à l’un des plus grands lacs sud-américains, le Lago General Carrera (côté chilien) qui s’étend jusqu’en Argentine (et se nomme alors Lago Buenos Aires). Quand le vent ne s’en mêle pas, ses eaux prennent alors toutes les teintes rencontrées en amont.

Puerto Rio Tranquilo, le bien-nommé, tranquillement posé sur les berges du lac permet d’accéder à une vallée dont la piste fut récemment construite (2010) et est en passe d’être prolongée jusqu’à la Laguna San Rafael, joyau, paraît-il, très peu exploré de la Patagonie chilienne. Mais sans aller si loin, elle mène, le long de la Valle Exploradores, à plusieurs lacs et glaciers suspendus et notamment au pied de la montagne la plus élevée dans ces latitudes australes, le Monte San Valentin, culminant à plus de 4000m et d’où descend un glacier qui vient affleurer à 200m d’altitude. A quelques kilomètres plus au Sud, d’autres glaciers, dont celui de San Rafael, viennent se jeter dans le Campo de Hielo Norte, soit une calotte de glace de plusieurs milliers de km² située au niveau de la mer. On est à 47°S de latitude, soit l’équivalent de Paris (à 1° près, 48°N) dans l’hémisphère Nord.

Pour nous, parcourir ces 55km dans chaque sens a été une expérience incroyable pour découvrir une Patagonie à l’état « presque » sauvage, avec sa diversité de paysages condensée en quelques kilomètres, où les lupins de toutes les couleurs nous guident et où les condors viennent valser à 10 mètres au-dessus de ta tête !

A cet intermède « hors-piste » s’en enchaîne un autre, puisque nous nous dévions vers Caleta Tortel, selon les recommandations de nombreux cyclos. Ce petit village atypique est posé au bord d’un bras de l’Océan Pacifique qui se mélange aux eaux laiteuses du Rio Baker débouchant à proximité. Il est fait d’un réseau de passerelles et de constructions en bois de Cyprès des Guaitecas, lui conférant un parfum et un charme indéniable et enivrant. Son accessibilité depuis la Carretera Austral ne date que de 2003 mais peu à peu le tourisme devient le moteur de son économie au détriment de la filière du bois. Pour le cyclo-voyageur, y faire étape est agréable et dépaysant mais à part à trouver un logement dans la partie haute (par où l’on arrive) ou à être un motivé du déchargement/chargement aller/retour, il est peu aisé de s’y déplacer avec un vélo chargé du fait des nombreux paliers qui permettent d’accéder à la partie côtière (la plus belle et authentique). Attention, il y pleut très souvent en été…soi-disant !

Nous quittons Tortel, repus d’un bon repas (d’anniversaire de Julia) dans un petit restaurant tenu par une petite dame bien d’ici et bien engagée et prête à défendre sa terre et sa qualité de vie bec-et-ongles contre les projets de barrages sur le Rio Baker. Nous abordons la dernière partie de cette Carretera Austral dont vous vous souviendrez autant que nous, tellement nous vous rabâchons Ô combien elle est exceptionnelle ! Une petite côte avant un dernier bateau, une nouvelle série de côtelettes et un long plat sous un vent tout patagon nous mènent en 3 jours à Villa O’Higgins, terminus de la Carretera Austral, tout le monde descend.

Quién se apura en la Patagonia pierde su tiempo ! (qui se presse en Patagonie perd son temps).

Oui, mais ensuite ?! Car nous sommes au bout du cul-de-sac…

– Pour les véhicules à moteur, c’est marche arrière forcée jusqu’à Cochrane où des possibilités de passer en Argentine existent. Pour nous ce serait revenir de près de 250km sur nos pas, inenvisageable !

– Autre option, le Paso Mayer, pour rejoindre l’Argentine, à 50km au Nord-Est de Villa O’Higgins. Nous y avions songé pour économiser quelques Pesos mais, outre le passage de frontière un peu folklo, où la piste n’est pas trop marquée et les rivières à passer à gué assez profondes, ce choix nous impose de parcourir de nombreux kilomètres dans la pampa argentine pour regagner les zones « plus intéressantes » à cycloter.

– Troisième et dernière solution, le passage traditionnel des marcheurs- mochileros et cyclos de la frontière par les lagos O’Higgins et Del Desierto. Au programme, une traversée de 3 heures du Lac O’Higgins, suivie de 21km de rando-vélo sportive entre piste caillouteuse et chemin en sous-bois, puis une nouvelle traversée en bateau du lac Del Desierto, et enfin 38km qui nous mèneront jusqu’à la prochaine ville argentine, El Chaltén, posé au pied du majestueux Fitz Roy.

On est mardi, et ça tombe bien, un bateau part justement demain mercredi ! Certes, ça coûte bonbon mais il paraît que ça vaut le détour  surtout en prenant l’ « extra » navigation vers le glacier O’Higgins ! Merci les copains pour le cadeau d’anniversaire ! Nous voici, en compagnie des Garioud et de nouveaux compagnons cyclos et mochileros, prêts pour une nouvelle aventure… Mais à 19h l’annonce tombe comme un couperet sans appel, le bateau ne part plus, la faute à trop de vent !

Au Mosco, petite auberge/camping tenue par l’adorable Fily où presque tous les postulants au passage s’entassent, la tension monte d’un cran. Tout le monde commence à compter ses Pesos Chiliens pour se rassurer qu’il pourra bien passer une nuit et trois repas de plus au Chili. Après l’effet d’annonce, il faut bien reprendre une activité normale, qui entre cyclos et randonneurs, tourne bien souvent autour du MANGER ! Quoi ? Quand ? Quand ? Quoi ? Illico, une proposition de Cordero Al Palo est lancée sur le grill ! Demain, à 20h, ce sera un adorable petit agneau cuit sur son bâton et à la braise qui nous sera servi ! En attendant, tout le monde y va de son pronostic pour le jour suivant : le bateau sortira ? Le bateau sortira pas ?

Le lendemain, nous nous faisons réveiller dans la tente par des rafales de vent. Plutôt de mauvais augure pour la suite, confirmé dans un premier temps par Fily, en sage connaisseuse de sa région, puis par le verdict implacable de l’entreprise qui effectue la traversée : le bateau ne sortira pas le jour suivant non plus. On commence à avoir peur que les boutiques de vivres se vident, tant le réapprovisionnement est ponctuel dans une zone si peu accessible. Heureusement, le lendemain soir pour fêter l’anniversaire de Manu, c’est un cordero , al horno – au four – ce coup-ci, qui est prévu !

Jeudi, rebelote, on nous annonce un départ pas avant dimanche. Il faut un coup de froid pour que le vent se calme, mais on ne voit pas grand-chose venir… il fait TOUT LE TEMPS froid pour nous ! On est un peu dans une impasse mais on se résout à attendre… car comme le dit le célèbre dicton patagon : Quién se apura en la Patagonia pierde su tiempo ! (qui se presse en Patagonie perd son temps). Eh oui ! Cet épisode nous rappelle qu’en Patagonie c’est le climat qui décide et finalement cela nous donne l’occasion de profiter des environs, d’apprendre à connaître mieux cette région et d’apprécier cette ambiance de bout du monde.

Enfin arrive samedi soir l’annonce du départ pour le lendemain matin, et le bateau fera bien le détour par le glacier, preuve que le temps est à l’amélioration. D’ailleurs, dans la nuit, la neige est venue saupoudrer les montagnes environnantes à quelques centaines de mètres au-dessus de nous ! La voici la fameuse vague de froid qui appelle au calme ! Après 4 jours d’attente (ce qui n’est rien en comparaison du record dont nous avions eu vent : 11 jours), nous chargeons donc à nouveau les vélos et parcourons finalement les 7 derniers km de la Carretera Austral avant d’embarquer sur le maudit rafiot !

Un finish de toute beauté

Si l’usage commun veut que la Carretera Austral s’achève au bout de la dite route, pour nous, l’esprit même de cette route continue jusqu’à El Chaltén.

Après une traversée de 3 heures pour déposer une partie du chargement à Candelario Mancilla, nous optons pour un détour vers l’imposant glacier O’Higgins, aux teintes bleutées et aux blocs de glace venant se jeter dans le lac éponyme. La navigation au milieu des icebergs est absolument incroyable, nous avons vraiment l’impression de naviguer aux confins du monde, dans les cercles polaires, tout en ayant en visu des montagnes minérales et même parfois hérissées de forêts. C’est l’occasion également de faire le lourd et triste constat du recul inexorable des glaciers, celui-ci ayant perdu plus de 15km en 100 ans. Son empreinte sur les parois dénudées des montagnes est bien visible sur une hauteur impressionnante. Nous célébrerons donc cela avec un whisky rafraîchi d’un glaçon millénaire !

Sous l’effet du roulis, diront certains, nous sommes bercés sur le chemin du retour et piquons une sieste jusqu’à l’arrivée à Candelario Mancilla. Il est déjà tard et l’envie est plus à bivouaquer qu’à commencer l’expédition finale. Après une nuit de repos face au lac, il est temps de remercier le Chili et ses superbes contrées patagoniennes. Comme une invitation à revenir, un iceberg flotte au loin et nous rappelle aux bons souvenirs de la journée antérieure.

Pour la suite, ce sera plutôt sueur et glissades sur les grosses pierres des dernières montées chiliennes. Après 14km moyennement roulables, nous passons le « col » pour l’Argentine et là débute la fameuse randonnée redoutée de tous les cyclos. Les 7 km qui suivent se font en sous-bois, entre racines, ornières profondes, cours d’eau et zones humides sur un sentier plutôt adapté aux randonneurs ou aux chevaux. Heureusement, nous le faisons dans le sens de la descente et compatissons grandement à ceux le tentant dans l’autre sens. Nous remercions aussi chaleureusement les Garioud à qui nous devons une fière chandelle. Délestés de leur encombrant équipage pour pouvoir faire passer avec plus de facilités leurs chars d’assaut (des tandems Pino Hase), ils ont ainsi pu récupérer un peu de notre poids (sacoches avant) et nous aider dans les montées sèches ! Merci Thomas et Lola ! Pendant ce temps, Nicolas se faisait plaisir en mode VTT dans le single-track argentin !

Nous atteignons les rives du Lago del Desierto où se trouve la douane argentine, après tous les marcheurs. A l’inverse de ceux-ci, nous préférons passer la nuit de ce côté-ci pour plus de commodités (camping sur une pelouse top-moumoute au frais des gendarmes argentins), face au Fitz Roy… qui ne se dévoilera pas pour autant ! Après une traversée paisible mais onéreuse (une trentaine d’€/$ pour 40 minutes de bateau), les 38km de ripio nous menant à El Chaltén sont une sinécure le long des vallées verdoyantes et au pied du Fitz Roy.

Nous arrivons heureux d’achever cet épisode de notre voyage au bout d’un peu plus d’un mois de traversée et de retrouver l’Argentine et ses argentins souriants, curieux et généreux ! La Carretera Austral parcourue du 9 novembre 2015 au 13 décembre 2015 aura tenu ses promesses et restera pour nous un des moments forts du voyage…