Le Sud Lipez ou le « paradis infernal »

Le Sud Lipez ou le « paradis infernal »

Nous revoilà, exactement là où nous nous étions quittés lors de notre dernier article, au beau milieu du salar d’Uyuni sur l’île d’Incahuasi.

« Una buena conversacion se abre siempre con un sacacorchos ! » , d e même qu’un bon repas pourrait-on rajouter. Pour ne pas déroger à la règle, en plein milieu d’un désert de sel, nous sortons une bouteille de blanc de Cafayate, région Nord-Argentine que nous traverserons dans quelques temps. Nous la partageons avec nos acolytes catalans Xavi, Manel et Pito qui dès le lendemain mettent le cap sur la mythique et redoutée Ruta de las Lagunas de la région bolivienne du Sud Lipez.

Le temps de la réflexion soit une copita plus tard et nous voici embarqués dans cette aventure « extrême » en bonne compagnie. Il faut dire qu’on ne tenait pas vraiment à faire le détour par la ville d’Uyuni et que la tentation de se lancer dans cette traversée du désert accompagnés d’autres cyclos était plus forte ! En effet c’est aussi pour nous une nouvelle expérience dans notre long voyage. Cela nous tenait à cœur depuis longtemps mais nos choix d’itinéraires parfois biscornus ne nous avaient jamais permis de tenter Le coup. En tout cas cette rencontre est une aubaine pour nous, trêve de tergiversations, sur la météo, les températures, notre forme du moment, nous voila partis pour le Sud Lipez, plus touristiquement connu comme « la ruta de las lagunas », une des étapes mythiques du voyage !

Nous n’allons pas faire pour cet article un descriptif détaillé, étape par étape de cette traversée, ce qui serait long, fastidieux et dénué d’intérêt pour vous amis cyclotoupiphytes, mais allons aborder le sujet Sud Lipez selon les différentes facettes que cette région nous a offertes…

Alors le Sud Lipez, qu’ès-à-quo, et pourquoi est-il tant redouté des cyclovoyageurs ?

Contexte paysagistico-climatique : de sable, de vent et de volcans

Le Sud Lipez est une région altiplanique du sud-ouest bolivien qui marque la frontière entre la Bolivie et le Chili. L’altitude moyenne dépasse les 4000m et le point culminant du parcours atteint 4900m au milieu des volcans et des lagunes !
Dans ce contexte, vous l’aurez compris, ça caille ! Surtout que le mois de juillet constitue le plein cœur de l’hiver andin. Il s’agit donc du mois le plus froid de l’année, mais aussi le plus sec ce qui nous garantissait un ciel bleu au quotidien, ceci expliquant cela, on ne peut pas tout avoir ! On nous avait prévenu, les températures peuvent descendre jusqu’à -30°C la nuit, et la journée ça monte péniblement à 10°C, mais le fléau c’est le vent qui lui souffle parfois nuit et jour soulevant d’impressionnants nuages de poussière.

Finalement on a eu de la chance, certes il faisait froid mais les nuits se sont avérées moins glaciales que prévu et le vent aura été modéré dans l’ensemble, nous aidant parfois en soufflant dans notre dos. On se rappellera quand même de cet « été » dans les Andes, pendant que la majorité d’entre vous était en train de se faire dorer la pilule sur la plage ou en train de siroter un bon rosé bien frais : nous on trimait, on se caillait les miches et surtout on n’avait même pas une goutte d’alcool à se mettre dans le gosier !

Le Sud Lipez, c’est avant tout, des paysages de rêves ! Durant nos 9 jours de traversée, chaque étape est marquée par des points forts qui nous donnent un objectif et qui ne manquent pas de nous émerveiller chaque jour !

C’est ainsi que nous avons pu :

Contempler des lacs aux couleurs extraordinaires : la laguna hedionda et ses 1000 flamants roses, la laguna colorada et son rouge vif au lever du soleil, la laguna verde dans laquelle se reflète l’imposant volcan Licancabur, la laguna blanca, la laguna chalviri aux eaux turquoises.
Admirer le célèbre « arbol de piedra » , formation rocheuse spectaculaire au milieu du désert sculpté par les vents.
Se baigner dans les eaux thermales et délicieusement chaudes de la laguna Chalviri, après une dure journée bien froide et venteuse et après le départ des touristes, quelle veine !
Découvrir à l’aube les geysers fumants de Sol de Mañana en se payant le luxe du bivouac le plus haut du voyage, 4900m d’altitude
Traverser les déserts ensablés avec pour toile de fond des montagnes multicolores et des volcans fumants…

Du côté de l’état des routes : de sable, de pierre et de tôle ondulée

Soyons clairs, Via Michelin vous le déconseillerait tout de suite ! Certes, ce ne sont pas les embouteillages qui posent problème, quoique le balai quotidien de 4×4 puisse parfois être agaçant mais bien l’état des routes qui nous a réservé son lot de surprises ! Nous sommes passés par tous les états imaginables, sans jamais un brin de répit : caillasse, sable, tôle ondulée (fameuse calamina pour les connaisseurs), neige, glace et le meilleur quand tous ces états sont combinés avec un peu de dénivelé ! A ce stade c’est la poussette assurée et on se sent bien seuls avec un bon vent de face…
Mais c’est bien sûr aussi ce qui fait le charme du Sud Lipez !

Ici, il n’y a pas vraiment de route unique, chacun y va de sa trace ce qui ne nous facilite pas l’orientation…ni le choix de « la meilleure trace à suivre ». On se retrouve donc souvent à désenfourcher le vélo pour traverser un champ de traces et choisir celle qui permet de repartir en pédalant.

L’état des routes c’est aussi pour nous l’obsession de la casse, on est plutôt bien équipés mais le matériel est soumis à rude épreuve, sans répit durant près de 10 jours. Et puis statistiquement plus l’équipe est nombreuse, plus les chances augmentent ! Nous avons donc eu quotidiennement notre lot d’arrêts mécaniques obligatoires et un peu de casse surtout chez les catalans mais rien qui ne nous contraigne à abandonner !

Côté logement et ravitos : de brique, de broc et de pancakes

Nous n’avons finalement bivouaqué que 2 fois dans le Sud Lipez. Il faut dire que les températures, le vent et la petite couche de givre intérieure du matin nous ont parfois dissuadé de planter la tente au milieu de nulle part ! Il faut avouer aussi que le Sud Lipez n’est finalement pas si sauvage que ça et que tout au long du parcours nous avons pu rencontrer des logements plus ou moins spartiates dans lesquels nous avons été chaleureusement et parfois gracieusement accueillis ! Alors dans ces cas-là on ne crache pas dans la soupe…on la mange !

On se rappelle encore du confort 3 étoiles de l’Hotel del Desierto, avec sa douche bouillante et son buffet petit-déj offert par la maison, que du bonheur ! Finalement il en faut peu pour remonter le moral des troupes.

Tourisme « de masse » et protection de la nature ?

Le Sud Lipez est en effet très touristique et fait partie des principaux attraits de la Bolivie. Sa proximité avec le Salar d’Uyuni et la ville d’Uyuni ont permis au tourisme de s’y développer à grands renforts de 4×4 toujours plus nombreux.

Malheureusement, il est difficile de parcourir cette région par ses propres moyens, les touristes de passage sont donc obligés de recourir à des agences locales avec des 4×4 proposant un circuit classique de 3 ou 4 jours. Du coup, dans cette ambiance désertique et sablonneuse, ça donne beaucoup de poussière et des frayeurs quand ceux-ci passent à toute berzingue à quelques cm de toi et t’enveloppent d’un épais nuage te rendant invisible des prochains véhicules. Sans rigoler, de nombreux cyclistes y ont quand même perdu la vie…c’est triste ! Heureusement il y a aussi des gentils chauffeurs attentionnés qui nous offrent des pancakes tout frais ou qui marquent une pause pour que les touristes nous mitraillent de photos, serions-nous une curiosité de la région ?!

Nous avons été un peu déçus par la Réserve Nationale de Flore et Faune Andine Eduardo Avaroa qui malgré un prix d’entrée non négligeable ne semble pas très enclin à mettre à profit ce budget pour la protection de la nature. Pas un garde-parc rencontré en 4 jours de traversée plutôt lente de la Réserve, pas une poubelle prévue pour jeter les déchets générés par cette foule, et donc des bouteilles et du plastique traînant de-ci de-là. A notre grande surprise, et pendant nos 2 dernières étapes au cœur même de la Réserve, nous croisons d’énormes camion roulant à tombeau ouvert sur les pistes Sud Lipézienne, et la mention PELIGRO : Acido Sulfurico (Danger : Acide Sulfurique) sur le conteneur nous provoque un haut-le-cœur. Eh bien oui, apparemment, l’acide sulfurique nécessaire à l’extraction du cuivre côté chilien provient sûrement de Bolivie et transite par une zone naturelle protégée, quoi de plus normal ?!

Nous nous dispenserons donc gentiment de payer le droit d’entrée au parc, de même que la fantasque taxe touristique de 15Bs de sortie du territoire bolivien. Au douanier qui commence à s’énerver quand on lui signifie que nous n’avons pas de quoi payer, la seule évocation du fait de voyager à vélo le détend, et le tampon apparaît alors spontanément sur nos passeports !
Tout ceci constitue l’envers du décor que nous avons eu le temps d’analyser perchés de longues heures sur nos vélos ou les poussant comme des acharnés dans cette région hostile. Car si tout ceci existe, c’est qu’il y a une réelle beauté du décor, et le découvrir à vélo relève du mythe pour beaucoup de cyclos, un peu comme une ascension du Ventoux ou de l’Alpe d’Huez pour un cycliste sur route !

Le Sud Lipez, un rêve devenu réalité

Les doutes et les peurs à l’approche de cette aventure ne se sont définitivement dissipés qu’une fois atteint le tarmac de l’autre côté de la frontière, au Chili, après plus de 300km de pistes et 8 jours d’engagement. Tous les jours les mêmes questions, partagées au sein de notre nouvelle équipe franco-catalane : quel sera le prochain point étape ? Serons-nous à même de l’atteindre, et sans nous perdre ? Quel est l’état de la piste ? Allons-nous trouver où nous abriter du vent et du froid pour dormir ? Et de l’eau ? Et les vélos vont-ils résister à tant de sable, de chocs et de vibrations ?

Pour nous, ce fut une expérience inoubliable, qui nous rend plus forts dans notre aventure au long cours et nous donne confiance pour la suite. Les paysages sont magiques et quand les 4×4 ont déserté les sites à la tombée de la nuit ou que nous nous réveillons seuls à l’aube devant ces lagunes aux mille couleurs où se nourrissent flamants roses et s’abreuvent les vigognes, devant ces volcans ou geysers fumant, ou profitons d’un bain dans des eaux chaudes naturelles, nous ressentons une certaine fierté d’y être parvenu à vélo, comme si nous méritions plus que quiconque d’être à cet endroit à ce moment précis ! ça doit être un peu ça, le mythe du Sud Lipez pour un cyclo… un mélange de folie et de féérie, certains l’ont d’ailleurs dénommé, le paradis infernal ! A ce moment-là, oubliés vent, froid, 4×4, sable et tôle ondulée, nous nous rechargeons à bloc pour un lendemain encore plus intense en émotions !

Notre Sud Lipez en quelques chiffres :

Depuis Colcha K, entre Salar de Uyuni et Ruta de las Lagunas, jusqu’à San Pedro de Atacama, ce furent :

– 9 jours – 9 étapes, 370km parcourus dont 330 sur des pistes, entre 15km et 65km quotidiens
– 4000m de dénivelées positives, 5000m négatives
– Pas d’avarie technique
– 2 bivouacs dont 1 à 4900m au pied des Geysers, 1 nuit sous tente sous toit, 1 nuit en campement militaire, 3 nuits en refuge, 1 nuit dans un hôtel.
– 1 cyclo rencontré (en sens inverse). Nous pensions que ce serait un peu une autoroute à cyclo-voyageurs…

Merci aux auteurs de nos roadbook, en particulier le PDF magique, le plus célébre dans le monde des cyclovoyageurs : Cycling South West Bolivia !

Un grand merci à notre trio d’amis catalans avec qui nous avons partagé jusqu’à notre avant-dernier jour cette grande aventure. Eux ont repris d’autres pistes les conduisant de nouveau vers Uyuni. Buen pedal y nos vemos !

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Equipo franco-catalan de choc !

Bilan de la Bolivie

La Bolivie c’est déjà fini ! C’est passé très vite et nous avons éludé une bonne partie du pays, notamment les Vallées et la partie amazonienne. Il fallait faire des choix et nous avons privilégié les espaces sauvages et désertiques du Sud-Ouest bolivien, en fait tout l’Altiplano, du Lac Titikaka au Sud Lipez en passant par La Paz ou les salars (Coipasa, Uyuni…) au détriment des zones plus tempérées de l’Est. Mais les distances sont telles et les axes de communication en si mauvais état pour la plupart que nous avons dû nous résigner à parcourir ces contrées. Ce sera pour une autre fois ! Ceci dit, nous ne regrettons pas notre choix, même si pour ce pays l’aventure sportive et paysagère a pris le dessus sur l’aspect rencontre.

Nos coups de cœur :
– Le côté full-montagne du Sud-Ouest bolivien et ses paysages chromatiques et lunaires…entre volcans, lagunes et montagnes enneigées …
– Le téléphérique hors-normes de La Paz-El Alto (malgré quelques petits soucis d’OD et/ou de tarification pour les correspondances et de multimodalité qui devraient être résolus prochainement)
– Le rêve accompli d’avoir roulé (nu pour Laurent) sur les salars d’un blanc immaculé et craquants sous nos roues

Et nos déceptions :
– Le côté toujours très austère et fermé des boliviens des hauts-plateaux, peu enclins aux bavardages et pas toujours très commerçants
– Le touriste souvent pris pour un porte monnaie géant. Certes la vie est très peu chère en Bolivie, cependant certains commerçants ont tendance à abuser en annonçant des prix à la tête du touriste, sans parler de la corruption de certains douaniers…
– Le manque de nourriture variée (supérettes vides, villages déserts) et de nourriture tout court !

La Bolivie en quelques chiffres

– 38 jours passés dans le pays dont 23 à pédaler (du 12/06 au 23/07)
– 1200 km parcourus à vélo, ce qui porte notre total à plus de 8000km depuis notre départ de France il y a 8 mois.
– 11 000 m de dénivelées positives et point culminant du voyage à vélo avec passage d’un col à 4926m aux Geysers Sol de Mañana au cœur du Lipez
– Une ascension en style andinisme, le Huayna Potosi, culminant à 6088m !
– Nuitées :
16 en camping / bivouac
9 chez l’habitant
10 en hôtel/refuge dont 4 gentiment offertes par nos amis à Copacabana
3 dans d’autres types d’hébergement (municipalité, campement militaire, futur restaurant)
– Budget  moyen journalier de 9,5€ (hors visites).

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Gracias Bolivia