Mise en bouche dans l’Eldorado Argentin

Mise en bouche dans l’Eldorado Argentin

On nous avait prévenus. L’Argentine, c’est grand, c’est beau et il y a des choses à voir partout. Alors à nouveau, l’heure de faire des choix est arrivée. A San Antonio de los Cobres, haut village andin battu par les vents de la Puna, deux alternatives s’offrent à nous :

la première, la plus simple, la plus courte, la plus raisonnable , c’est de filer plein Est vers Salta, capitale de la province dans laquelle nous nous trouvons. 160km d’une belle route bitumée peuvent nous mener 2,5km plus bas en une grosse journée.

la seconde, pour presque ne rien louper du Nord Argentin , riche en culture, paysages, gastronomie et aux dires des voyageurs rencontrés accueillant à souhait, c’est de mettre le cap vers le Nord, dans la province de Jujuy et se laisser porter au gré du vent, des bons plans et des envies.

Bon vous l’avez deviné, nous avons opté sans hésiter (enfin, la direction du vent au matin de notre départ a grandement influé sur le choix final) pour la route numéro 2, alambiquée, tarabiscotée, pleine de zigouïgouïs ! En route pour le Nord et de nouvelles pérégrinations !

Des hivernaux hauts-plateaux andins aux vallées printanières

Pas question de louper la Quebrada de Humahuaca, classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Nous écumons avant cela quelques dizaines de kilomètres sur des pistes dont l’état nous rappelle des souvenirs boliviens, sable, poussière, vent et tôle ondulée. Laurent est définitivement fâché avec la tôle ondulée et il prétend même vivre son « plus dur » jour du voyage, c’est pour dire ! Nous sommes sur une portion de l’ancienne Route Nationale 40, mythique axe Nord-Sud reliant depuis la frontière bolivienne le Nord argentin, jusqu’à Ushuaïa. Mais son statut « d’ex » ne lui vaut plus les soins prodigués en d’autres endroits. Nous longeons les Salinas Grandes, grande étendue de sel à l’argentine mais moins impressionnantes que les salares boliviens.

Enfin nous retrouvons le bitume pour emprunter une partie du Paso de Jama, autre voie menant de l’Argentine au Chili en se promettant de ne plus mettre une roue sur du ripio pour au moins…une semaine ! Nous y croisons de jeunes et fougueux tandémistes français, les « Le Tandem d’un Rêve » qui s’apprêtent à se lancer dans l’aventure du Sud Lipez, le tout avec du riz, de l’avoine et aussi du riz et de l’avoine ! Chapeau les artistes (ils sont jeunes !).

Une ultime ascension à plus de 4000m (Snif !) dans la Cuesta de Lipan nous offre un panorama somptueux d’une descente infinie, laquelle nous mènera à Purmamarca, où nous arrivons fatigués, rêvant toujours de notre petit carré d’herbe verte et d’un peu de chaleur. Cette petite bourgade très touristique semble avoir perdu de son authenticité et de son chaleureux accueil…Point de carré d’herbe verte pour planter notre tente, il fait gris, froid et il vente. Après une tentative de campement chez l’habitant nous fuyons car ça sent la peau de cochon pourrie (qui sèche à deux pas de là où nous nous étions installés), nous dormirons finalement au pied de l’église. Heureusement le Cerro de los 7 Colores (montagne aux 7 couleurs) redresse la barre avec… alors vous trouvez ? Eh bien oui, les 7 couleurs qui composent les différentes strates de la montagne située derrière le village. Un véritable arc-en-ciel minéral !

Ascension multicolore vers Humahuaca

Un beau préambule à notre entrée dans la vallée de Humahuaca, façonnée par le Rio Grande de Jujuy et ses affluents, l’érosion des vents, et qui offre également une grande palette de couleurs selon les strates mises à nue. D’ailleurs les villages rivalisent avec Purmamarca en proposant leur Cerro de 14 o Mil Colores… Toujours plus ! Nous remontons la vallée qui en ce printemps naissant nous donne à voir les premiers bourgeons sur les premiers arbres que nous croisons depuis près de 3 mois, il y a aussi des bestioles qui volent, des papillons, depuis le temps que nous vivions à 4000m d’altitude nous avions même oublié qu’à vélo il faut fermer la bouche pour éviter de gober les mouches !

Nous faisons halte à Tilcara et remontons la Quebrada jusqu’à Humahuaca, les traditions indigènes sont prégnantes, les constructions sont toujours en pisé (adobe) et l’artisanat textile ressemble en tous points à celui du Pérou ou de la Bolivie (bon, on n’est pas des experts, mais ça reste du poil de lama ou d’alpaga en général !). A Humahuaca, nous sommes même logés chez un luthier et musicien émérite, Rafael et son alcoolyte ami révolutionnaire : Julio le Gaucho ! Nous passons du bon temps en refaisant le monde et l’Histoire argentine, autour de quelques verres de vino tinto (parfois coupé à l’eau gazeuse quand il est de piètre qualité), mortadelle et fromage ! Quoi ? On n’a pas le droit de tester aussi les nouveaux produits locaux ! Qué rico !

Pour notre dernière soirée les deux joyeux lurons avec d’autres musicos nous gratifient d’un vibrant concert arrosé, avec les instruments locaux et ancestraux, quenas, zampoñas, tambor…au petit matin nous prenons le départ lorsque nos chers amis retrouvent leur lit en titubant, ils tiennent le rythme les Argentins !

Nous explorons jusqu’à l’arrière-pays de cette fameuse Quebrada , sans vélo ce coup-ci, et nous rendons à Iruya, petite village perdu dans une vallée dont l’unique accès se fait par une montée/descente spectaculairement stressante en tant que passager d’un bus. Le jeu en valait la chandelle, nous sommes au cœur d’une vallée reculée dont les montagnes livrent à nouveau toute leur panoplie de couleurs et où les condors accomplissent leur gracieux ballet.

La pauvre Julia, à nouveau sous fesso-injection pour soigner un nouveau vilain rhume restera clouée à la tente pour ne pas que cette dernière s’envole. Sa seule sortie des deux jours sera pour rendre visite au médecin de l’hôpital du village, qui la recevra les deux joues gonflées de coca et dont il sera bien compliqué de saisir les paroles. Malgré l’altitude bien plus basse qu’au Pérou ou en Bolivie, nous sommes encore dans une zone où tout le monde coquea – des feuilles de coca sont placées entre les dents et la joue en croquant du bicarbonate afin de révéler les sucs et d’activer les effets de la plante sacrée (anti mal d’altitude, anti-stress, anti-faim…anti-tout quoi ce Coca y Bica !). Drôle de tradition tout de même… à tel point que dans cette partie de l’Argentine partager le maté vient en 2 nde position des codes sociaux. Heureusement le gentil médecin  ne prescrira pas une prise de coca en intraveineuse pour soigner Julia, ici c’est plutôt antibios en mode automatique !

Après quelques jours à se refaire, nous repartons à l’assaut de la Quebrada que nous reparcourons en sens inverse, direction plein Sud.

A Jujuy (prononcez RouRouille avec un « r » de fond de gorge) repos et boulot !

Dans la capitale de la province du même nom, nous passerons 10 jours, accueillis et hébergés par Gabriela et Fernanda, de la Finca la Colorada, démarchée quelques temps auparavant pour proposer nos services. C’est la saison basse ici, et il n’y a pas grand-chose à faire, ou à nous faire faire. Du coup, bien installés dans un chalet 4 étoiles au sommet de la colline, nous cuisinons, mettons le matériel à neuf et profitons plutôt des dimanches familiaux autour des fabuleux asados que nous découvrons enfin !  Nous avons l’occasion de célébrer la fête de la Pachamama appelée « pago a la tierra », l’idée étant de remercier la terre mère pour toutes les bonnes choses quelle nous offre en espérant que la nouvelle année agricole – les semis sont réalisés début septembre – soit bonne et prolifique…nous creusons donc un trou dans la terre pour lui donner à manger ! La garce ! elle a presque mieux mangé que nous et surtout bu plus de vin ! Nous découvrons aussi le folklore local et sa dance du mouchoir, vous nous connaissez, piètres danseurs que nous sommes, nous n’avons pas osé mettre un pied sur la piste !

Bref, les asados argentins c’est l’équivalent de nos dimanches barbecues, mais là c’est sérieux. La braise est rougeoyante et la grille accueille pléthore de saucisses (appelées Chorizos ici, merci de ne pas confondre), du bœuf, un cochon de lait saigné la veille. Un régal, le tout accompagné d’un bon tinto (vin rouge de provenance de Mendoza généralement). En 10 jours on a déjà ingurgité autant de viande que sur tout le reste de notre voyage… et ne parlons pas du vin. Aïe ! ça commence déjà à se voir sur l’enrobage abdominal, peut-être un bien nécessaire en prévision du retour ! Bon, pour digérer tout ça, on peint 2 bancs, 2 chaises, on nettoie un chalet, on coupe 50kg de tomates en petits cubes et on essaie d’entretenir ou de se souvenir de notre foulée runnistique. Pas brillant, spéciale dédicace à la Foulée des Sorgues : il va falloir nous en faire baver au retour…

Le bilan de cette expérience « hôtelière » est tout de même bon pour les troupes. L’accueil a été vraiment très agréable, nous avons pu récupérer des 2 derniers mois intenses à vélo et pouvons repartir sereinement et avec de bonnes réserves graisseuses vers les contrées salténiennes, où empanadas (vous connaissez l’empanada salteña n’est-ce-pas ?) bière (la Salta évidemment) et vin (le torrontés assurément) semblent s’annoncer comme étant le programme des jours à venir… intense n’est ce pas ?

Remise en selle vers Salta la belle

Bon, ok, on va pédaler un peu quand même. Mais point trop n’en faut, on ne va pas reperdre illico tout ce qu’on a pris tant de plaisir à reprendre ! Deux petites étapes par des routes sympas au milieu des lacs permettent de reprendre le rythme en douceur sans trop taper dans les réserves.

A 1200m d’altitude, on retrouve aussi la chaleur, on ressort shorts et sandales pour tenter d’arborer à nouveau le bronzage « agricole » du parfait cyclo. On est également surpris lors d’un bivouac au bord de l’eau de retrouver une nature éclatante. La nuit est bercée par les chants des oiseaux qui sont là par centaines. Nous avions oublié jusqu’à la présence de ces bêbêtes dans notre traversée andine. Les arbres bourgeonnent, des fruitiers sont en fleurs, ça exhale le printemps et on se remémore la Provence, puis Séville, mais aussi la Colombie par moments.

C’est aussi le retour des rencontres cyclovoyageuses, youpi ! Nous croisons 2 cyclos argentins sur la Cornisa qui nous informent qu’une famille de Pino-Tandémistes que nous avions rencontrée, elle, 3 mois plus tôt vers Cusco se trouve juste à quelques heures devant nous. Nous les retrouvons finalement au camping de Salta où nous passerons 3 nuits (faut dire que 2 jours à vélo, ça use !) en compagnie de 3 autres cyclos qui font route vers le Sud également. C’est donc avec Alain-à-Vélo, en vadrouille depuis 3 ans sur les routes du monde, Seth et Amanda deux cyclo made in USA et la famille Garioud que nous savourons successivement une soirée-barbec, puis une soirée-pizza, ou encore une soirée bolo-belote ! Rencontrer des cyclos et partager tous ces bons moments ça fait du bien au moral et ça rassure aussi. On échange anecdotes, bons plans cyclovoyageurs, conseils mécaniques et on compare, qui est le plus chargé et qui se trimbale les bibelots les plus superflus, un vrai bonheur !

Alors qu’au début de cet article nous vous annoncions la possibilité de relier Salta en 160km, nous voici donc avec près de 500km au compteur au cœur de Salta frais comme des gardons et gras comme des cochons ! Les plans, les rythmes et les envies étant tous différents, tous ces joyeux cyclos repartent chacun pour faire leur sauce.

Pour notre part, ce sera sauce aji bien piquante façon Cuesta del Obispo – exquise – suivie d’une non moins corsée mais savoureuse Quebrada de las Flechas , sur la RN40 retrouvée et toujours tape-cul à souhait pour débouler au milieu des vignes d’altitude de Cafayate. Et plutôt que de choisir entre fromage ou dessert, car nous aimons plus que tout au monde avoir fromage ET dessert, nous nous envoyons pour la petite note sucrée la succulente Quebrada de las Conchas. Vlan !

Ce petit interlude en passant par les vallées Calchaquiés fut bien agréable pour reprendre le rythme, nous avons pu renouer avec les ascensions infernales à la péruvienne, admirer les pleines arides plantées de Cardones (immenses cactus candélabres endémiques), découvrir d’adorables petits villages comme Cachi, donner nos premiers coups de pédale sur la véritable Ruta 40 qui nous mènera jusqu’à Ushuaia 4500km plus tard et retrouver notre cher ami le ripio , calamineux et sableux à souhait !

A Cafayate nous retrouvons les néo-caldoches en famille, pour de nouvelles aventures culinaires au coin du feu,  (cette fois-ci c’est burger-party ) et pour des dégustations de torrontés dans les bodegas ou à domicile !

Eh oui les amis, après avoir trimé comme des dingues dans les déserts, à se cailler comme pas permis dans les montagnes pendant que vous vous la couliez douce en terrasse cet été, nous prenons maintenant notre revanche avec cette belle Argentine du Nord, chaleureuse, vivante et gourmande. Pourvu que ça dure, car pour nous commence à peine le printemps et le meilleur est à venir !

On the road again !!!!

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