Vent glacier de Noël qui souffle sur les grandes plaines

Vent glacier de Noël qui souffle sur les grandes plaines

De la Casa de Ciclista à la découverte du Fitz Roy

Notre arrivée à El Chaltén est plutôt dépaysante. Le contraste entre notre dernier mois de voyage au cœur d’une nature exubérante et cette ville nouvelle à l’urbanisme anarchique, qui grouille de touristes fluos équipés de sacs à dos est assez saisissant.
Nous filons directement à la Casa de Ciclista où nous sommes accueillis par le sourire et l’ abrazo réconfortants de Flor ainsi que par la bande de joyeux cyclotouristes avec qui nous avions déjà passé quelques jours à Villa O’Higgins.

Flor est un personnage, autant attachante que touchante, son rire est communicatif et chez elle on se sent bien. Sa maison c’est tout un concept, une maison minuscule à moitié achevée avec une toute petite cour à l’arrière dans laquelle s’entasse un monticule d’encombrants et au milieu duquel poussent à la vitesse éclair des tentes-champignons multicolores.
A voir la cour nous avons du mal à savoir si nous allons pouvoir y caser notre tente, mais pour Flor aucun souci ici il y a de la place pour tout le monde et dans son jardin « on peut faire rentrer jusqu’à 21 tentes » nous annonce-t-elle fièrement. Ainsi Flor ouvre sa maison et son cœur à toute la communauté cyclotouriste de passage en partageant tout ce qu’elle possède et en incitant fortement à ce que le mot « partage » prenne ici tout son sens.

Et des choses nous en avons partagé durant ces 5 jours à la Casa de Ciclista :
– De bonnes bouffes principalement orchestrées par l’équipe française avec une mention spéciale pour le poulet cari de la famille Garioud qui viendra clôturer leur périple à deux roues en Amérique du Sud.
– De beaux moments partagés avec Flor, discussions sur la promotion et le respect du vélo en ville, le voyage à vélo, la philosophie de la casa , partage aussi de la recette de ses délicieuses empanadas
– De nombreux joyeux bavardages échangés avec les cyclos, bons plans, itinéraires… Oui ! ici la première question que l’on se pose c’est « tu arrives du Nord ou du Sud ? ».  Nous partageons aussi quelques bières et de bonnes rigolades avec nos nouveaux amis cyclo de La Balise. Noémie et Thésée sont fraîchement débarqués de Nouvelle-Calédonie pour 2 ans d’aventures avec de nombreux écovolontariats au programme…suivez-les par ici Asso La Balise

Depuis que nous sommes arrivés il y a quand même une petite ombre au tableau, nous sommes au pied du majestueux Fitz Roy mais celui-ci n’a toujours pas daigné montrer le bout de son nez. Cet imposant massif dont le nom indien de « Chaltén » en langue Tehuelche signifierait « montagne qui fume » a pendant longtemps été confondu avec un volcan. C’est en fait une simple montagne aux sommets bien aiguisés qui passe le plus clair de son temps la tête dans les nuages…

La météo semble s’arranger pour les prochains jours ce qui nous permet d’envisager plusieurs circuits de randonnées qui nous permettraient de sortir des sentiers battus et de découvrir les glaciers environnants, comme le Viedma par exemple. Finalement, un peu fainéants nous décidons de partir sur des balades plus plan-plan à la journée qui nous offriront un beau panorama sur le Fitz Roy et qui éviteront de nous abîmer le dos à trimbaler tout notre barda ! Oui vous remarquerez que le Cyclotoupix devient feignant et rechigne même parfois à marcher et à porter du poids sur ses épaules…vraiment trop confortable le voyage à vélo !

La reprise tant redoutée face à « l’innombrable »

Après tout ce repos et ces belles rencontres nous décidons tout de même de reprendre la route car nous avons un timing à tenir, nous avons rendez-vous le 24 décembre pour Noël à Puerto Natales avec la famille Garioud, soit dans 3 jours avec 500 km à parcourir, une frontière à passer et la visite du glacier Perito Moreno à caler dans le programme. L’équation semble compliquée…

Nous quittons El Chaltén sous le soleil et la vue sur le Fitz Roy est splendide. Nous sommes un peu déçus de l’avoir dans le dos ce qui nous pousse à nous retourner régulièrement, frôlant le torticolis en fin de journée et en même temps nous nous réjouissons, car celui que nous avons aussi dans le dos c’est le redouté, redoutable, surnommé « El Inombrable » (car si on prononce son nom il apparaît)…le VENT. Il peut être notre pire ennemi ou notre meilleur allié, il va falloir que nous apprenions à composer avec sa présence et sa puissance et que nous nous habituions à cette douce mélodie qui balaie sans relâche la plaine argentine.

Nous ne sommes pas mécontents de retrouver l’asphalte qui nous avait quand même un peu manqué depuis les nombreux kilomètres parcourus sur la Carretera Austral (oui les Cyclotoupix sont aussi devenus des fervents fans du bitume, bien lisse, bien enrobé s’il vous plait) et avec « El Inombrable » dans le dos nous filons à vive allure et retrouvons les moyennes kilométriques journalières à trois chiffres. En un jour et demi nous arrivons à El Calafate où nous sommes hébergés chez un ami de Flor, le très sympathique Enzo.
De là, les vélos nous attendront au garage pendant que nous partons sac sur le dos en direction de Puerto Natales en stop afin d’arriver à temps pour Noël et de peaufiner notre plan stratégique et machiavélique pour la visite du Glacier Perito Moreno.

A Natales para la Navidad

Ce sera l’occasion pour nous de découvrir une autre manière de voyager, « a dedo » comme on dit ici et de faire de nombreuses rencontres sur la route. En cette période de fêtes il y a de l’autostoppeur en chasse et la concurrence est rude, du coup on se croirait plutôt dans Pékin Express. Très peu pour nous, notre liberté à vélo nous manque déjà !

Nous arriverons néanmoins à parcourir 500 kilomètres aller-retour en changeant 10 fois de véhicule et en rencontrant toute sorte de gens aussi sympas que farfelus. De l’autre côté du pare-brise nous avons la confirmation que les Argentins sont des grands fous du volant.

C’est ainsi que nous rencontrons José qui n’hésite pas à parcourir 500 bornes pour aller jouer au casino (oui la notion de distance est assez dérisoire en Patagonie). Au volant de sa voiture prénommée Brianna, régulateur de vitesse réglé en « vitesse de croisière » à 150km/h, il profite de notre présence pour se boire un petit maté habilement préparé par Laurent (qui renverse discrètement la moitié du thermos sur son pantalon), aujourd’hui expert en assistant « cebador » de maté pour chauffard argentin. Il nous raconte toute sorte d’histoires avec les mains bien sûr et en se retournant régulièrement pour voir si Julia est bien attentive.

On fait également une petite centaine de kilomètres avec un véhicule de tourisme qui part récupérer une horde de randonneurs sur le Torres del Paine. Les deux jeunes au volant sont de bons boutes-en-train, offrent de leur maté, et confirment deux discours récurrents :
– tous les animaux de la steppe, choike (ou autruche andine), guanacos, armadillos (tatous), bien que préservés, se mangent ! Et à leurs dires, c’est bien rico ! Bon à savoir en cas de pénurie dans les sacoches.
– les argentins haïssent les chiliens, ils ne peuvent pas les voir en peinture, et si l’un d’eux a le malheur de prétendre qu’ils sont hermanos , l’argentin prend alors ses airs les plus offusqués, indignés, rétorquant que plutôt crever que de considérer un chilien comme un frère. Les argentins ne pardonneront décidemment jamais aux chiliens leur prise de position sur la guerre des Îles Malouines (ou Falkland), la récente victoire des chiliens lors de la « Copa de América » ne venant pas apaiser le conflit.

Finalement on s’aperçoit que voyager en stop n’est pas de tout repos, il faut faire la conversation (et les argentins sont bavards), faire le service du maté et rester bien cramponné sur son siège, la main agrippée à la poignée de plafond…

Un Noël à la française

A Puerto Natales nous avons élu domicile chez Maria qui tient un petit hostal chaleureux proche du centre ville. La famille Garioud a déjà investi les lieux et à nous 6 nous remplissons quasiment toutes les chambres, parfait ! on est vraiment comme à la maison. Maintenant notre préoccupation principale est de savoir ce que nous allons pouvoir cuisiner pour Noël ! Comme d’habitude on ne s’en sort pas trop mal et les bons petits plats concoctés nous font un peu oublier la distance avec nos familles, pour ce second Noël en Amérique du Sud. Julie et Vincent rencontrés à Villa O’Higgins sont aussi dans le coin et viennent nous rejoindre pour festoyer. Le vin rouge chilien coule à flots et nous fait toujours autant rire. Nous prenons pour cible la nouvelle coupe de cheveux de Laurent, spécialement réalisée par un coiffeur chilien pour l’occasion…tout un art.
Au cas où vous auriez un doute, nous vous confirmons également que le père Noël arrive jusqu’en Patagonie à la vue des nombreux paquets qui nous attendent, de quoi sur-remplir nos sacoches déjà bien gonflées jusqu’à la fin du voyage !

Le 25, avant une nouvelle indigestion, nous profitons de la baie de Puerto Natales qui est étrangement calme ; sur une mer d’huile, canards, cormorans et cygnes à col noir se partagent la vedette avec en toile de fond les montagnes enneigées et les glaciers.
Nous repartons l’estomac et les sacs bien remplis pour retrouver nos chers vélos et partir à l’assaut du Perito Moreno. Sur la route du retour nous constatons qu’il a bien neigé côté argentin, une bonne masse de neige est encore présente, de la neige à Noël quoi de plus normal pour un été Patagon ?

A l’assaut du glacier Perito Moreno

Bon cela fait plusieurs jours qu’un projet se trame et se dessine et vous devinerez que Laurent en est l’instigateur. Oui nous voulons aller au Glacier Perito Moreno car ce serait dommage de louper cette merveille de la nature et non nous d’adhérons pas à la politique touristique de la Patagonie qui vise à sur-exploiter les sites naturels et à ruiner les touristes en pratiquant des politiques tarifaires abusives que ce soit à l’entrée des parcs ou par les transports qui permettent de s’y rendre.
Donc voilà notre plan et tous ses avantages : se rendre jusqu’à l’entrée du parc « national » De Los Glaciares à vélo profitant ainsi de la magnifique route qui longe le lac Argentino, y passer la nuit sagement cachés dans les fourrés, se réveiller à l’aube pour pénétrer dans le parc avant son ouverture afin éventuellement d’économiser quelques pesos mais aussi d’avoir le temps de parcourir les 30 derniers kilomètres et d’être sur place avant la horde de touristes.
Tout s’est merveilleusement déroulé comme sur le papier, jusqu’à notre discrète entrée dans le parc au petit matin à 5h…Le vigile, qui dans nos plans était censé dormir à poings fermés, ou ne pas exister, était bien présent et plutôt réveillé ! Même s’il était lancé dans une partie de jeu vidéo en ligne pendant laquelle il se prenait pour un gangster, il n’en avait pas pour autant oublié son rôle réel de gardien de parc ! Nous avons finalement dû nous résoudre à attendre 3 heures avec lui afin que le parc ouvre puis nous nous sommes gentiment acquittés de la modique somme de 260 pesos argentin par personne malgré une nouvelle tentative de Laurent pour bénéficier du tarif Mercosur en prétendant que nous étions…Boliviens !
Un échec sur toute la ligne. A 9h, nous étions noyés dans le trafic de bus et de voitures sur la route menant au glacier et à 10h nous étions sur les passerelles avec tous les touristes en moumoute à fourrure.

Avis aux cyclotouristes téméraires, nous l’avons testé, nous avons échoué mais nous savons que vous pouvez y arriver ! Un nouveau conseil pour les plus chevronnés (après avoir révisé le plan pendant de longues heures), entrez plutôt de nuit et hors saison, vous pourrez aussi camper discrètement à l’intérieur du parc ce qui vous permettra de bénéficier du site en toute tranquillité… Et surtout ne faites pas croire que vous êtes bolivien, tentez plutôt l’ » uruguacho » !

Hormis cela, nous sommes restés suspendus pendant 4 heures à la langue glaciaire qui vient plonger dans le lac Argentino. Nous sommes subjugués par ce géant de la nature, impressionnant par sa taille, son dégradé de bleus et son activité. Notre observation est rythmée par les chutes de blocs de glace qui dans un fracas sensationnel viennent perturber la tranquillité des eaux glacées du lac. Nous assistons à l’effondrement d’un pan entier de la partie visible du glacier, soit près de 60m de glace qui s’écroulent formant un mini raz-de-marée. Une vraie merveille.

Retour à Puerto Natales à vélo

Après avoir longuement hésité sur la suite de l’itinéraire nous décidons finalement de reprendre le vélo en direction de Puerto Natales, route classique des cyclos, qui nous mènera jusqu’à Punta Arenas avant de rejoindre la Terre de Feu. Le moral tristounet de cette fin d’année nous donne envie de passer le jour de l’an au chaud dans un environnement bien douillet comme chez Maria par exemple chez qui nous avions déjà passé le réveillon de Noël. Nous profitons du calme qui fait suite à la tempête de neige et qui annonce une météo clémente pour les prochains jours avec un vent modéré. C’est donc en short, t-shirt et par une température de 38°C que nous grimpons la « Cuesta Miguez », et on sue bien comme il faut les petits abus des fêtes de fin d’année, mais le spectacle de la vallée du Rio Santa Cruz s’étale devant nous.

La lumière est magnifique sur ces étendues de steppe aride balayée par le vent, on fait quelques petites courses poursuites avec les guanacos avant de rejoindre un mauvais ripio qui nous permettra de s’économiser quelques kilomètres de route principale transitée par les chauffards argentins. Nous trouvons refuge pour la nuit chez Fabian, un vieux loup solitaire qui garde un poste de police perdu au milieu de la nada . Ici rien à l’horizon, pas d’électricité, il faut faire 40 kilomètres pour trouver un signal de téléphone et les voisins, eh bien ils sont clairsemés dans la pampa tous les 20 kilomètres. On se marche pas dessus ici, et aller prendre l’apéro dans l’ estancia d’à côté revient à partir pour une véritable expédition. Les journées doivent être bien longues pour Fabian qui se réjouit de nous voir arriver, nous offre une chambre et nous prépare un poulet-frites avec même de la mayo et du coca ! Encore une fois les Cyclotoupix sont méconnaissables, fini le régime légumes frais de saison et les poulets bio de l’AMAPT, il faut bien récupérer les calories perdues sur la dernière côte.

Nous quittons Fabian émus par tant de gentillesse et un peu tristes aussi en pensant à la vie de cet homme dans cette grande maison vide…et au ripio qui nous attend pendant encore 50 kilomètres…tristes mais lucides !
Nous décidons d’emprunter la frontière de Cerro Castillo afin de se dévier de la route principale et d’apercevoir au loin les « tours » du célèbre Parque Torres del Paine. Nous avons pris la décision de ne pas faire de randonnée dans ce parc et filons vers le Sud. La journée est belle et le vent reste raisonnable ce qui nous permet de bien avancer et de profiter d’un petit bivouac bien agréable à une quarantaine de kilomètres avant Puerto Natales.

Le 31 nous retrouvons avec joie Puerto Natales, le calme de sa baie et cette petite bourgade bien tranquille. A la première heure nous sommes devant chez Maria qui nous offre un petit déjeuner gargantuesque, après le nôtre que nous avons pris « léger » avant de partir ! Nous passerons un réveillon bien tranquille avec elle et son mari et prenons encore un jour de repos avant de repartir vers Punta Arenas.

Dernier tramo vers la Terre de Feu

Cette fois-ci le vent est bien présent et souffle sans relâche. Heureusement nous l’avons majoritairement dans le dos et parfois de côté ce qui nous vaut de beaux écarts sur une route relativement fréquentée. Nous compatissons grandement avec les cyclos que l’on croise remontant vers le Nord qui semblent eux au bout du rouleau après à peine quelques jours à rouler pour la plupart depuis Ushuaïa. Nous stoppons souvent pour échanger quelques paroles, ou plans bivouac, et nous rendons compte que désormais, l’anglais est de rigueur. A nos « Hola, buenos dias ! » joviaux nous sont répliqués de mornes « Hi ! » ou « Hello ! » Nous n’avions pas vu sur nos cartes que nous avions franchi les frontières du Commonwealth…

Pour le dernier jour nous adoptons la stratégie du réveil matinal afin de rouler tranquillement avant que le démon ne se réveille définitivement. En milieu de matinée nous arrivons à Punta Arenas. Devant nous, le détroit de Magellan constitue l’ultime rempart maritime avant de rejoindre la Terre de Feu et notre bout du monde. Nous y sommes presque, les noms et les lieux invitent toujours plus à la rêverie, au voyage au long cours, aux temps des explorateurs et des grandes découvertes… encore quelques coups de pédale et nous toucherons cette fameuse « fin du monde ».